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La grande nouveauté de la pédagogie explicite de la lecture

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La grande nouveauté de la pédagogie explicite de la lecture

Bernard Wemague, Universitaire-Chercheur (Linguistique & Méthodologie), Bordeaux.

 

La principale particularité spécifique de la pédagogie explicite réside dans le principe d’un modèle d’enseignement déterminé par les mécanismes de fonctionnement du cerveau et de la cognition.

 

Les mots-clés de toute la pédagogie, voire de toutes productions d’écrits relativement consistants, sont organisation et progression, propriétés qui caractérisent le fonctionnement cérébral et cognitif pour l’apprentissage appliqué à l’éducation scolaire, et dont le rôle est peu valorisé dans certains courants pédagogiques depuis quelques décennies.

Face à l’extraordinaire complexité de la réalité par rapport aux hypothèses socioconstructivistes et même à l’enseignement traditionnel, la pédagogie explicite prône l’exigence de la transmission directe des connaissances. Cette conception soulève le problème capital d’organisation et de progression des contenus d’enseignement. C’est précisément par ses propriétés d’organisation et de progression que la pédagogie explicite marque sa profonde originalité. Celle-ci s’exprime à travers la conception même de la notion d’explicite. Le concept d’explicite recouvre une vision de l’enseignement dont les contenus, une fois définis sur des critères rigoureux et précis, sont structurés et présentés suivant les contraintes de fonctionnement du cerveau et de la cognition.

 

 

A ce moment-là, il s’agit de concevoir les contenus pédagogiques en l’occurrence les contenus pédagogiques de la lecture selon le fonctionnement cérébral et cognitif et, par-dessus tout, de définir les critères (1) d’organisation et de progression des contenus de l’objet de la connaissance.

Dans cette optique, trois étapes essentielles du parcours d’apprentissage de la lecture s’imposent à un programme qui va de l’école maternelle en CP, lequel doit assurer la capacité à lire avant de démarrer les apprentissages fondamentaux en CP :

A)    L’acquisition des connaissances prérequises.

B)    L’apprentissage de la lecture des mots.

C)    L’apprentissage de la lecture des textes.

 

L’acquisition des connaissances prérequises comprend l’apprentissage de l’alphabet usuel et des sortes de lettres de l’alphabet afin de permettre la formulation des règles générales explicites de prononciation ; l’apprentissage de la discrimination des catégories lettre, syllabe, mot, phrase, texte ; l’apprentissage de la relation d’ordre dans les syllabes et les mots ; l’apprentissage du contexte et de la position des lettres dans les syllabes et des syllabes dans les mots.

L’apprentissage de la lecture des mots consiste en la mise en place de la combinatoire en tant que mécanisme génératif des syllabes qui composent les mots et en tant que constantes distributives par rapport à ces derniers.

L’apprentissage de la lecture des textes réside dans les entraînements à lire les textes, dont ceux de la littérature de jeunesse, dans le but d’acquérir, entre autres, les liaisons, les ponctuations et, en somme, les notions élémentaires de grammaire et de conjugaison.

La maîtrise de ces apprentissages libère l’attention des élèves du code pour leur permettre de se concentrer sur l’extraction du sens, dans la mesure où le sens se construit en prenant appui sur le code.

 

Les critères pertinents d’organisation et de progression véritables des contenus de l’objet du savoir sont de nature linguistique et statistique.

Le critère linguistique concerne les schémas des syllabes, lesquelles sont, avec les lettres, compatibles avec le fonctionnement cérébral en même temps que les catégories qui permettent de composer et d’identifier les mots. Le critère statistique porte sur la taille des syllabes en termes de nombre de lettres.

Cela dit, les modalités d’organisation et de progression des contenus pédagogiques dépendent des objectifs à atteindre. Les objectifs de base poursuivis sont l’acquisition des connaissances prérequises et l’apprentissage de la lecture des mots (ce qui va dans le sens du programme ministériel de 2008 et même en filigrane dans celui de 2002). On se focalisera ici sur ce dernier aspect.

La capacité à lire les mots passe par l’appropriation du nom des lettres de l’alphabet (programme de 2002) et l’acquisition de la prononciation des syllabes au travers de l’installation de la combinatoire. L’édification de la combinatoire mobilise les lettres de l’alphabet et associe les consonnes et les voyelles pour former les syllabes des mots tout en veillant à progresser rigoureusement des données graphiques moins complexes aux plus complexes et en s’appuyant sur les différentes configurations de lettres correspondant chacune à une unité phonétique en tant que règle générale de prononciation au regard de la langue parlée.

 

La forme de syllabe de base, équivalent de l’unité phonétique, est constituée d’une consonne suivie d’une voyelle et notée par le symbole CV auquel correspond, par exemple, le produit ‘ba’ de ‘banane’ ou ‘ba na ne’. La pédagogie explicite présente ce produit comme ci-après, suivi du mot qui le valide en tant que syllabe et constante distributive, c’est-à-dire comme une configuration de lettres légale ou légitime, ou permise par la langue française et codant l’unité phonétique de la parole :

 

b     a     ba     ba na ne    (banane).

 

Cette application signifie que le facteur (ou la consonne) b et le facteur (ou la voyelle) a placé à sa droite s’associent dans cet ordre de relation pour donner le produit qui est ba prononcé [ba] comme dans le mot ‘ba na ne’ ou ‘banane’.

Les facteurs et le produit généré donnent lieu à la constitution du couple (b, a) et (ba/[ba]) dans lequel le produit dit syllabe est accompagné de sa réalisation phonétique qui est une règle générale de prononciation.

Par rapport à ba, b et a sont une consonne et une voyelle qui entretiennent une relation d’ordre dans laquelle la voyelle est placée à droite de la consonne et où l’on procède de gauche vers la droite à partir de la consonne initiale de la configuration de lettres ba.

Le couple de constantes distributives (b, a) et (ba/[ba]) représente la graphie et la phonie respectivement. Le couple graphie/phonie ou (b, a) et (ba/[ba]) est une constante distributive sur différents mots en français. De manière équivalente, toutes les configurations autorisées en français obéissent au même schéma de couplage formé de facteurs et de produit flanqué de réalisation phonétique qui est une règle générale de prononciation dans la langue.

La question est donc, pour la combinatoire, d’installer le système de configurations de lettres de type (b, a) et (ba/[ba]) illustré à chaque fois par un mot du corpus lexical.

L’ensemble de tous les schémas syllabiques, qui sont des constantes distributives en nombre fini, apparaît comme des résultats d’ajouts soit à droite, soit à gauche de la base CV ainsi que le montrent des règles générales de prononciation à travers les exemples qui suivent :

 

CV          :   ma, mathématique, ta, patate, la, maladie, le, levier, de, demande, du, duvet, sa, salade.

CVC        :   nid, pot, riz, septembre, mon, montagne, démonter, son, sondage, ton, tondeuse, menton.

CVCC      :   dent, prudent, fort, confort, rond, pont, porc.

CVCCC    :   corps, temps, longtemps.

 

CCV         :  pli, dépliant, tri, tribunal, abricot, oubli.

CCVC       :  gris, écran, plan, plantation.

CCVCC     :  blanc, grand, aplomb.

CCVCCC   :  prompt.

 

Ces exemples révèlent l’existence de la possibilité d’organiser les contenus de l’objet de la connaissance selon que les syllabes comportent une ou plusieurs consonnes initiales et/ou une ou plusieurs consonnes finales ou non, ainsi que selon le nombre de lettres qui constituent les syllabes.

Dans ces conditions, l’organisation et la progression sont effectives et aussi irréprochables que possible.

En ce sens, l’organisation s’articule autour du nombre de lettres constitutives des syllabes qui sont les suivantes :

A) Les syllabes sans consonne initiale ou à consonne initiale zéro : ex. : abeille, image, orange, usine.

B) Les syllabes sans consonne initiale et avec une ou plusieurs consonnes finales ; ex. : organe, onctueux.

C) Les syllabes à consonnes initiales.

La propriété des syllabes à consonnes initiales et/ou finales permet de distinguer les cas qui suivent :

a) Les syllabes à 1 consonne initiale et/ou finale.

b) Les syllabes à 2 consonnes initiales et/ou finales.

c) Les syllabes à 3 consonnes initiales et/ou finales.

 

L’ensemble des développements précédents concourt à l’établissement de ce qui se désigne, en termes génériques, de méthode syllabique dont les équivalences sémantiques sont méthode alphabétique et méthode synthétique (2), c’est-à-dire une démarche pédagogique de la lecture qui répond au mode de fonctionnement cérébro-cognitif. Il est intéressant d’observer à cet égard que les vocables de syllabique, alphabétique et synthétique évoquant les lettres et les syllabes ou combinaisons des lettres correspondent, par nature, aux propriétés de fonctionnement du cerveau pour l’apprentissage de la lecture. La méthode syllabique est, par définition, explicite, ce que corrobore l’IRMf du cerveau au cours de l’apprentissage de la lecture. La théorie de l’apprentissage de la lecture par rapport à la formation scolaire commande une méthode d’enseignement de la lecture qui est syllabique. La nature et le fonctionnement des langues humaines construites à l’aide de deux catégories d’unités de base, ou constantes distributives correspondant au fonctionnement cérébral qui sont les lettres et les syllabes, exigent une méthode pédagogique de lecture syllabique.

 

Les conceptions pédagogiques qui partent des textes, des mots ou des sons confondus avec phonèmes confrontent les méthodes de lecture à l’impossibilité d’organisation et de progression dignes de ces noms.

Le critère de progression adopté par les conceptions pédagogiques à référence phonologique est la fermeture ou l’ouverture des voyelles dans une approche qui conduit des voyelles vers les consonnes et dans laquelle sont mélangés deux systèmes alphabétiques non superposables et statutairement différents : le système de l’alphabet traditionnel et le système de l’alphabet phonologique. Le critère n’est pas approprié ; en outre, non seulement les méthodes à référence phonologique se retrouvent avec deux systèmes alphabétiques peu compatibles, mais encore elles ne les enseignent pas aux élèves sinon très sommairement et partiellement. C’est une grave carence d’un point de vue du fonctionnement cérébral pour l’apprentissage de la lecture et lorsque s’y ajoute le déficit d’enseignement des syllabes, les carences deviennent sévères et, les méthodes de lecture, profondément inadaptées. Celles de ces méthodes qui se désignent syllabiques et se réclament des travaux de neuroscience de Stanislas Dehaene sont en contradiction avec les résultats de ces travaux qui concluent à une orientation pédagogique allant des lettres vers les sons correspondants et non l’inverse caractéristique de la méthode phonologique ou phonétique et des méthodes dérivées. C’est l’occasion ici d’apporter une précision sur l’interprétation et l’utilisation erronées des résultats de Stanislas Dehaene par certains pour légitimer les hypothèses phonologiques qu’ils défendent et appuyer leur pensée pédagogique à caractère syllabique. Il ressort des résultats des travaux de neuroscience de Stanislas Dehaene consacrés à la lecture en apprentissage que la propriété qui valide la méthode d’enseignement dite syllabique est précisément la construction de l’apprentissage de la lecture au moyen de deux catégories d’unités de la langue écrite qui sont les lettres de l’alphabet usuel et leurs associations appelées syllabes, lesquelles lettres et syllabes sont des constantes distributives sur les mots de la langue. Dans ces résultats, en effet, la neuro-imagerie montre que le cerveau au cours de l’activité d’apprentissage de la lecture fonctionne pour les éléments graphiques qui sont les lettres et les syllabes, non pour les sons identifiés à tort à phonèmes. En réalité, le cerveau élabore l’objet qu’est le stimulus visuel représenté par les lettres de l’alphabet ; le nom et la prononciation correspondants viennent se greffer sur cet objet (comme dans l’histoire de l’évolution de l’espèce humaine et de la constitution du langage), un peu à la manière de l’enfant qui, une fois né, se voit attribuer un nom et donc une identité. Dans ces conditions, l’introduction de la phonologie en tant que telle dans l’enseignement de la lecture n’a pas lieu d’être. Elle n’est pas scientifiquement fondée.

Les méthodes de lecture à référence phonologique ne se prêtent pas à l’organisation et à la progression impliquées par le mode de fonctionnement cérébral et cognitif pour l’apprentissage de la lecture, ainsi qu’on peut le constater par comparaison avec la présente contribution.

 

Les paramètres classiques d’appréciation d’une méthode pédagogique en l’occurrence la méthode d’enseignement de la lecture sont la forme, le contenu, l’organisation et la progression.

La forme est la variable qui permet de spécifier une méthode de lecture en fonction des domaines de connaissances dont elle relève compte tenu de l’extrême complexité de la réalité, tels que la neuroscience, la cogniscience et la linguistique pour le cas de la lecture en apprentissage qui est central dans le propos.

Le contenu est, dans la conception de la linguistique générale contemporaine, constitué de règles, puisqu’elle conçoit une langue humaine comme un « système de règles ».

L’organisation est l’opération qui consiste à ordonner de manière cohérente et rigoureuse les données du contenu.

La progression est le critère qui consiste à traiter pas à pas les contenus dans un ordre de complexité croissante en procédant des éléments simples vers les données complexes.

Aucune méthode de lecture ne s’impose les contraintes de cette grille d’analyse, d’où la multiplicité et la diversité des méthodes actuelles inconciliables avec la pensée scientifique et pédagogique.

 

La question essentielle qui préoccupe la pédagogie explicite peut se formuler comme suit.

Comment organiser et se les faire approprier étape par étape les contenus d’enseignement par rapport au fonctionnement des mécanismes du cerveau et de la cognition ? (3).

Pour être pertinente et efficace, la méthode de lecture doit s’attacher à répondre à cette interrogation majeure.

 

Bernard Wemague

 

 

 

(1) Les difficultés des méthodes de lecture commencent avec les difficultés à définir pertinemment les critères d’organisation et de progression des contenus pédagogiques. En l’absence de critères bien déterminés et rigoureusement adaptés, on ne peut pas véritablement parler d’organisation et de progression dans les méthodes de lecture, d’autant plus qu’elles partent soit des textes, soit des mots, soit des sons. Avec ces modes de départ, l’organisation et la progression ne sont pas possibles ; ils reposent sur l’hypothèse inexacte selon laquelle les syllabes n’existeraient pas en français écrit. Or, elles existent et se doivent d’être l’objet d’un apprentissage méthodique et systématique en tant que facteur de composition et d’identification des mots.

 

(2) On recense diverses variantes de méthodes syllabiques dont la dernière en date dénommée méthode phonique est d’inspiration phonologique et, comme telle, entame l’apprentissage de la lecture par des sons assimilés à des phonèmes. Cependant, il s’agit de complications inutiles. Comment les parents qui se procurent les manuels de méthodes syllabiques à référence phonologique s’en tirent-ils sans avoir de notions en phonologie ? En fait, ils en font complètement abstraction, preuve, surtout au vu des bons résultats qu’ils obtiennent, que la phonologie est dénuée d’intérêt pour l’enseignement de la lecture.

De cette façon, les méthodes syllabiques présentent des différences au niveau de leurs conceptions. Comme les méthodes non syllabiques, elles manquent de critères de détermination en amont et d’organisation et de progression en aval.

La méthode syllabique adéquate est celle qui se trouve en cohérence avec le mode de fonctionnement cérébral et cognitif.

 

(3) Force est de constater que ceux qui se réfèrent aux travaux de Stanislas Dehaene ne mentionnent pas les résultats d’IRMf qu’il a produits par rapport au fonctionnement cérébral pour l’apprentissage de la lecture, lesquels résultats constituent la découverte fondamentale qu’il a faite et qui fonde irréfutablement au plan scientifique la méthode de lecture syllabique.

Par conséquent, Stanislas Dehaene est souvent cité en appui de positions pédagogiques de la lecture qui ne sont pas cohérentes avec les résultats qu’il a apportés, à savoir que le cerveau construit l’apprentissage de la lecture progressivement avec les éléments graphiques simples puis les éléments graphiques complexes (qui ne sont rien d’autre que les lettres et les syllabes, que nous avons appelés constantes distributives ou invariantes distributives et qui permettent de bâtir l’ensemble des catégories d’unités de la langue).

Mise à jour le Dimanche, 17 Mars 2013 21:13  

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